Auteur : Sébastien Dériano
Introduction
Le rêve ouvre sur un monde paradoxal. Expérience à la fois familière et mystérieuse, espace de digestion et de transcendance, sentier quotidien et naturellement magique sur lequel se croisent les éléments les plus anodins de notre vécu et les grands symboles qui inspirent l’âme humaine depuis l’aube des temps. Nous avons tous fait du rêve notre compagnon de route, allié de nos désirs intimes, confident de nos frasques émotionnelles, réceptacle de nos fièvres et théâtre de nos peurs, ami fantasque et joueur qui sait nous distraire et nous toucher et qui cache souvent, pour ne pas nous blesser, les raisons de ses choix et le fond de son cœur.
Et qui dira qu’il a su décoder ces univers de sens et faire entrer ces jaillissements de l’être dans une boîte à mots ? Que l’on en soit conscient ou non, le rêve reste insaisissable car il naît de la pleine subjectivité et se refuse ainsi à toute analyse. Au seuil du mystère, il est de chaque évènement la préfiguration et l’écho. Trace poétique d’un pur mouvement de vie, il se déploie dans l’espace immense d’un éphémère instant… Pénétrer son royaume c’est faire le choix de la simple évidence, c’est entrer dans une danse sacrée avec le réel, c’est laisser émerger le chant du cœur, ouvrir son esprit à la lumière trop souvent retenue du corps, c’est dire oui à la vie, oser l’inconnu et tenter l’expérience d’un chemin de découverte et d’étonnement.
Cet article rend hommage à l’art de rêver, l’esprit attentif, le cœur ouvert et le corps en éveil. Car le rêve est une invitation au voyage, une aventure, une exploration. Rêver c’est répondre présent à l’appel de sa source. Cette courte introduction n’a pas la prétention de circonscrire la thématique du rêve, loin de là. Il s’agit plutôt d’approcher le rêve éveillé dans sa plus noble expression, une quête de Soi. Nous allons ici présenter quelques aspects essentiels de cette pratique qui sait si bien s’accorder avec les besoins de l’humanité d’aujourd’hui.
Qu’est-ce que le rêve éveillé ?
Laissons de côté le rêve dans son acceptation la plus large – le rêve nocturne – pour explorer spécifiquement le rêve éveillé. En général, l’état onirique émerge de façon spontanée et bien souvent quand on ne s’y attend pas, soit parce notre vigilance décline, soit parce que les circonstances « s’amusent » à nous propulser dans la synchronicité et nous mettent en contact avec une vibration particulièrement intense. Nous sommes alors comme plongés dans un état second et des images, des paroles, des sensations et toutes formes de perceptions peuvent surgir et s’animent sur la scène de notre théâtre intérieur.
Selon la disponibilité du rêveur, cette expérience peut passer presque inaperçue ou même rester tapie dans un temps imperceptible, mais elle peut aussi être suffisamment bouleversante pour changer le cours d’une existence entière.
Le principe du rêve éveillé est de vivre un état modifié de la conscience tout en restant lucide. Le rêveur est à la fois l’auteur, l’acteur et le spectateur d’une scène ou d’un vécu qui se projette sur son écran interne sous la forme d’un scénario imprévisible. Le contenu onirique peut être une histoire improbable tout droit sortie d’une sorte de génie créateur, cela peut aussi se tramer comme un patchwork de ressentis qui remontent lentement à la surface, tantôt succession d’images kaléidoscopiques à l’allure dénuée de cohérence, tantôt réminiscence du passé ou vague évocation d’une émotion lointaine… le rêve répond à un besoin réel même s’il reste caché…
Voici ce qu’est le rêve éveillé : un espace où la conscience ordinaire avec tous ses réflexes de contrôle se met en vacance pour laisser émerger un état plus subtil de la réalité. Dans cette parenthèse, quelque chose cherche à se dire, s’exprime, se déroule, se déploie ; et le rêveur devient le témoin actif de cette histoire à vivre.
Aux origines : une voie sacrée
Aussi loin que remonte la mémoire des Hommes on retrouve trace du rêve éveillé parce qu’il fait partie intégrante de la relation que noue l’être sensible avec l’univers. État d’inspiration, état contemplatif, état d’écoute profonde : le rêve éveillé est dans sa plus simple expression un dialogue intérieur avec ce qui est. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », voici un adage qui s’applique à merveille au rêve éveillé car c’est en tournant son regard vers soi que le cosmos livre ses secrets. Et comment diable cela peut-il se produire ? Et bien tout simplement en se donnant de l’espace et en observant ce qui s’y déploie.
Les anciens avaient une approche sacrée de la reliance. Ils faisaient usage de plantes, de rituels ou de gestes codifiés pour entrer en contact avec les esprits. Lors de cérémonies ils invoquaient les forces vives de la nature pour entamer un dialogue éclairant pour eux-mêmes, pour un besoin spécifique ou pour guider toute la tribu. Aujourd’hui, le sacré est un « espace » à réinventer, à redécouvrir hors des peurs archaïques et des jugements conditionnés par des siècles d’interdits. Et le rêve éveillé peut être un sentier qui mène à cette douce libération vers la plénitude d’être et le plaisir d’exister dans toute son humanité, un sentier où le sacré se vit au naturel.
Une pratique au goût d’aventure
Lors d’une séance individuelle de rêve éveillé, les règles du jeu sont simples. D’abord le rêveur s’installe, il se met à son aise et ferme les yeux. Une brève concentration sur une respiration naturelle et fluide va induire un état de relaxation léger et un relâchement suffisant des tensions. Le rêveur est invité à décrire à voix haute ce qui se présente à lui : ses sensations, ses ressentis, ses perceptions et les images qui émergent à sa conscience. Le rêve peut alors commencer. La séance va schématiquement se dérouler en trois parties successives. Une phase de plongée dans l’état modifié de conscience, c’est l’entrée progressive dans le mode onirique. Puis le corps du rêve éveillé, étape où se déroule la véritable rencontre intérieure dans un décor savamment mis en scène par la sensibilité et l’énergie du moment. Enfin, un temps de retour durant lequel la conscience du rêveur va doucement remonter à la surface. S’en suit un échange verbal pour valider le vécu de la personne.
On observe plusieurs sensibilités oniriques. Certains ont des images nettes et se trouvent rapidement projetés dans des scénarios allant de la résurgence mémorielle à la fantasmagorie la plus incroyable. D’autres entrent dans un monde où la sensation de toucher et le mouvement mènent la danse. En fait, tous les sens peuvent véhiculer de l’information ; ainsi l’audition, l’odorat et le goût peuvent aussi se mobiliser durant le rêve. Qu’il s’élabore sur le substrat d’un vécu antérieur ou qu’il projette le rêveur dans un espace symbolique, un rêve éveillé est toujours un voyage. En fait, le rêve ouvre à la singularité de l’être et c’est à partir de sa propre subjectivité que le rêveur va se laisser guider par ses besoins profonds. Lorsqu’il lâche la main de la logique linéaire survient le passage vers une nouvelle dimension, un univers où tout est unifié, interconnecté, où tout converge vers la même aspiration : laisser la vie s’expanser de l’intérieur pour devenir pleinement soi-même.
Alors tout peut faire sens : terminer une boucle expérientielle, libérer un ressenti bloqué, vivre une émotion, se réconcilier avec une partie de soi ou découvrir une nouvelle facette de la réalité, se projeter dans l’inconnu ou rencontrer un guide, … tout est permis. Néanmoins, si le rêve utilise notre propre bagage pour se dessiner, la sagesse de l’inconscient entraîne parfois le rêveur vers des contrées encore vierges de toute empreinte. Et pour recevoir ces espaces de liberté comme des présents de la vie, il nous faut parfois bien de l’audace… Même si une seule séance peut nourrir la curiosité, il est préférable de s’engager dans un processus plus abouti pour bénéficier des belles vertus du rêve éveillé. Le rêveur va progresser à son rythme et c’est en puisant dans ses propres ressources qu’il va trouver des solutions originales à des problématiques parfois très anciennes ou refoulées. Au fur et à mesure qu’il avance, le rêveur devient le héros de sa propre aventure intérieure et cette prise de conscience fait grandir en lui un sentiment digne des plus beaux trésors : l’estime de soi.
L’art d’accompagner un rêve
Oui, équipé d’un tuba et d’un masque de plongée, il est possible de partir observer sous la surface d’une eau limpide. Et cela peut donner de très belles sensations. Mais il peut s’avérer dangereux d’aller s’aventurer dans les profondeurs océanes en solitaire car le moindre problème avec la bouteille d’oxygène peut se révéler fatal. Il en va de même pour le rêve éveillé : dans le rêve digestif de la nuit ou dans la rêverie personnelle, certaines couches de l’inconscient peuvent se dire mais pour atteindre les zones plus enfouies du psychisme, mieux vaut être accompagné. Celui qui guide le rêve est un gardien. Il peut assister en silence mais il peut aussi jouer d’autres rôles : une lueur qui éclaire dans l’obscurité, un allié sur le chemin de la résilience…
Et c’est de cette relation de confiance et de cette connexion multidimensionnelle que va naître le rêve. Le lien qui s’établit entre le rêveur et l’accompagnateur ressemble à un fil d’Ariane. Dans cet espace de confluence, le rêveur se sent protégé et dispose à tout moment d’un soutien ; l’accompagnateur peut suivre à travers la parole du rêveur l’évolution du vécu onirique. Ainsi, à partir de ses propres ressentis, le praticien pourra guider sans s’ingérer, proposer sans forcer, dialoguer et questionner, ouvrir le champ des possibles par sa simple présence.
Dans chaque rêve se rejoue l’histoire du rêveur comme une métaphore de sa propre existence. Chaque élément du psychisme personnel va entrer en résonance avec des archétypes inscrits dans l’inconscient collectif et c’est donc toute l’histoire de l’humanité qui inspire le rêveur dans sa quête de sens, d’équilibre ou de libération. Le rêve est un terrain de jeu où se rencontrent des contenus intimes (mémoires, désirs, peurs,…) et des symboles transpersonnels pour former une trame imagée dans laquelle le rêveur va reprendre les rênes de son évolution.
Guidance onirique
Bien que rêver procède d’une aptitude naturelle et que cette pratique soit restée simple dans son essence et puisse se suffire à elle-même en tant qu’outil d’exploration, accompagner sereinement un rêveur dans l’antre de son psychisme ne s’improvise pas. Plusieurs qualités sont nécessaires pour soutenir le rêveur à travers les situations et les épreuves qu’il rencontrera sur le sentier de sa « re-co-naissance » intérieure. La découverte de la formidable intelligence corporelle dont chaque être vivant est doté forme la pierre d’angle de l’édifice dont la base est la confiance. Celui qui désire accompagner par le rêve va d’abord apprendre à faire confiance au rêveur dans ses choix oniriques, dans les chemins qu’il emprunte et dans le rythme qu’il imprime pour se visiter, se réparer, se retrouver ou se vivre. Pour respecter la personne dans sa singularité et ses besoins spécifiques, il va aussi affiner sa capacité d’écoute via ses ressentis et ses perceptions internes.
Dans le cursus de formation que nous proposons en Bretagne, nous entrons dans le royaume du rêve éveillé par la voie directe : nous apprenons à rêver avec le corps, à sentir la vie rêver en nous, à accueillir le rêveur tel qu’il est, à guider le rêve à partir du cœur… Nous apprenons à estimer en temps réel le juste positionnement intérieur qui va favoriser l’empathie avec le rêveur tout en préservant son libre-arbitre et son bien-être. Enfin, nous donnons des clés pour intégrer les règles essentielles d’un accompagnement centré sur la personne. Parce que le rêve ouvre sur un espace intime, nous apprenons surtout à laisser émerger la nature essentielle du rêveur. L’énergie de vie dont il est le porteur sait ce qui est juste pour lui. Accompagner le rêveur devient alors mouvement fluide, doux et bienveillant. Une respiration détendue, une voix qui sécurise, une parole habitée, une présence qui invite et autorise, et puis l’ingrédient le plus précieux de tous : la confiance en Soi.
Sébastien Dériano enseigne l’art d’accompagner par le rêve éveillé à travers un cursus de 12 jours de formation en Guidance onirique sur 4 sessions de 3 jours. Ouverte aux particuliers et aux thérapeutes et ne nécessitant aucun prérequis, cette formation se déroule en Bretagne sur le mode résidentiel.